Dans le zoo politique du Zimbabwe, avec NoViolet Bulawayo [1/2]
Publié le :
Romancière zimbabwéenne, NoViolet Bulawayo illumine la rentrée étrangère 2023 avec son second roman Glory, un récit allégorique de l’histoire du Zimbabwe. Original, inventif et drôle, ce livre est une réécriture d’Animal Farm du Britannique George Orwell. Dans les rôles principaux, un cheval, une ânesse, un cochon et des chiens habillés en tuniques de toutes les couleurs.

« Pourquoi j’écris ? Parce qu’écrire c’est ma façon de participer au devenir du monde, ma façon d’agir. Voyez-vous, la vie humaine est tellement brève que ne pas avoir mon mot à dire, ne pas participer aux débats en cours, ne peut pas être pour moi, une option viable. »
Ces mots sont ceux de la Zimbabwéenne NoViolet Bulawayo, dont paraît ces jours-ci, en traduction française, son dernier roman, Glory. Un titre simple, mais satirique à souhait, à l’image des 450 pages que compte ce roman fable. Conçu sur le modèle d’Animal Farm du Britannique George Orwell, Glory raconte le devenir mouvementé du Zimbabwe contemporain, à travers les voix des animaux. « Raconter sur un mode fictionnel et selon mes propres termes ce moment historique que fut la chute de Mugabe après 40 ans de règne sans partage, a été ma façon de participer à l’histoire collective de mon pays », confie la romancière jointe par téléphone.
Réinvention de soi
Glory est le deuxième roman de NoViolet Bulawayo. La romancière s’était fait connaître en publiant, il y a dix ans, un premier récit quasi-initiatique, avec pour titre Il nous faut de nouveaux noms (Gallimard 2013). Son action se partage entre le Zimbabwe et les Etats-Unis, avec pour thème central la réinvention de soi, comme l’annonce le titre poétique du roman. L’œuvre de cette écrivaine montante, bourrée de talents, s’inscrit dans la riche tradition littéraire zimbabwéenne, qui a donné quelques-uns de grands noms de la littérature africaine anglophone, dont beaucoup de femmes. Elles s’appellent Tsitsi Dangaremgba, Yvonne Vera, Pettina Gappah, pour ne citer que celles-là.
Née en 1981, quasiment au moment de l’indépendance du Zimbabwe, NoViolet Bulawayo n’était pas pourtant prédestinée à devenir cette écrivaine admirée qu’elle est devenue. Son père, aujourd’hui policier à la retraite, aurait aimé que sa fille embrasse une carrière plus reconnue socialement. NoViolet Bulawayo.
« Lorsque j’ai grandi au Zimbabwe, mes parents ne nous encourageaient pas tellement à choisir des carrières d’artistes ou d’écrivains, qui étaient sans grande utilité sociale à leurs yeux. Ils voulaient qu’on devienne médecin, avocat ou ingénieur. C’est seulement lorsque j’ai quitté le foyer familial pour me rendre aux États-Unis, où il n’y avait plus la pression des parents pour choisir telle ou telle carrière, que je me suis inscrite à des séminaires de 'creative writing' et cela dès le premier cycle universitaire. Je me suis alors rendu compte qu’écrire est ce que j’ai toujours voulu faire, mais pour cela il fallait d’abord apprendre à écrire et me perfectionner en me familiarisant aux rouages du métier. »
Le Jidada, pays fictionnel
À 18 ans, tout comme Darling, l’héroïne de son premier livre, la future romancière est partie rejoindre une tante aux États-Unis, dans le but de faire des études supérieures. Nostalgique de son pays et de Bulawayo, la ville natale où elle ne pourra rentrer avant longtemps, elle s’est mise à écrire, signant ses premiers textes du pseudonyme NoViolet Bulawayo. « Violet » était le nom de sa mère, que l’auteure avait perdue dans sa petite enfance, et « no » signifie « avec » dans l’idiome ndebele, la langue maternelle de celle qui reste encore connue sous le nom de Elizabeth Zandile Tsehele pour l’état civil.
On l’aura compris, les noms sont capitaux dans les récits de NoViolet Bulawayo. Ils aident à lutter contre la nostalgie et à combler nos manques psychiques. Ils servent aussi à se moquer des puissants et des corrompus, comme on s’en rend compte en parcourant les pages de Glory.
On y croise « la Vieille Carne », surnom de Mugabe, imaginé sous les traits d’un cheval vieillissant. Son épouse est l’ambitieuse ânesse Merveilleuse, à la langue de vipère. La population du Jidada, le pays fictionnel où se déroule l’action de ce roman, est fatiguée du long règne du tyran. Il finit par être renversé par un groupe de cruels militaires. Ces derniers sont incarnés par des molosses féroces, tous maréchaux ou généraux. Ils se targuent de leurs titres ronflants et de surnoms qui prêtent à sourire. Ils s’appellent le général Judas Goodness Reza, le général Saint Zhou ou encore le général Animour , qui est « un pitbull au visage serein réputé pour sa pondération et sa capacité d’avoir le dernier mot », écrit l’auteure.
Comédie grandguignolesque
Humour alterne ici avec horreurs. Le nouveau roman de NoViolet Bulawayo nous fait souvent rire, mais derrière son masque de comédie grand-guignolesque, Glory est surtout un roman tragique. Il retrace la tragédie du Zimbabwe et de sa population qui, en quarante ans d’indépendance, n’a connu que la tyrannie, la corruption, et la misère qui creuse le ventre mais aussi l’esprit. Sur les circonstances qui l’ont conduite à se servir d’une grille de lecture animalière pour raconter la chute et le déclin du Jidada « avec un da et encore un da », écoutons NoViolet Bulawayo :
« Je crois que c’était en janvier 2019, au lendemain des manifestations populaires qui venaient d’être violemment réprimées par les militaires dépêchés par le gouvernement dans les townships. Ces violences m’avaient mise hors de moi. Je me suis alors demandé, je m’en souviens, si ces hommes qui nous gouvernaient étaient des êtres humains ou des animaux sauvages. C’est pourquoi, dans ce contexte, quand j’entendais les gens comparer le Zimbabwe à une ferme aux animaux, cela sonnait juste à mon oreille. J’avais aussi en mémoire les contes dont ma grand-mère nous a abreuvés tout au long de notre enfance, les contes dans lesquels les animaux jouaient des rôles de premier plan. Je crois que la forme allégorique qu’a prise 'Glory' est le produit du mélange de toutes ces influences. »
Dans la deuxième partie de cette chronique consacrée à NoViolet Bulawayo que vous pourrez écouter la semaine prochaine, nous parlerons du basculement de l’Histoire dans Glory et de sa narration aussi passionnée que contenue.
Glory, par NoViolet Bulawayo. Traduit de l’anglais par Claro. Éditions Autrement, 453 pages, 23,90 euros.
NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail
Je m'abonne